Octobre 2022 - Nouvelle Série - Barbie Fury
Chaque image de la série explore un univers mental décalé et humoristique, en utilisant des teintes et thèmes différents tout en gardant une unité de composition : une table, un sous-main et une poupée Barbie.
Mon but est d’obtenir une série visuellement joyeuse et pop : j’ai imaginé assez vite une exposition où toutes les photographies seraient présentées dans la même pièce pour« assaillir » les spectateurs pris dans un tourbillon de couleurs, avec des images empruntant aux codes de la mode, en y ajoutant un humour qui fait souvent défaut. Je veux faire rire avec des mises en scène ludiques etgraphiques, et surprendre avec un rendu éclatant.
La conception de chaque mise en scène me prend un temps important. Je fais des répétitions, parfois des maquettes sur ordinateur ; je me procure, fabrique ou fais fabriquer les éléments de décor. Et j’organise parfois, souvent, plusieurs séances pour la même image avant d’aboutir à ce que j’ai en tête. Je suis dans le contrôle presque absolu : je fixe un cadre, la position des objets est réellement millimétrée, et dans cet espace je demande au mannequin, véritable actrice, un jeu d’émotion précis, tout en gardant un espace de liberté et de propositions.
Sur chaque photo, le modèle (une belle femme) s’attaque au-delà de l’objet jouet Barbie à l’image de la femme parfaite, et donc à l’image du mannequin. Le mot « mannequin » a d’ailleurs un double sens, la personne qui pose pour la photo et la statue de plastique.
Dans ma série, la belle femme casse l’image de la belle femme, c’est-à-dire sa propre image, mais n’en reste pas moins belle dans une photo qui illustre cette beauté ; je veux jouer sur un double effet miroir, la femme retombe dans le piège de l’image, le second degré de la mise en scène reboucle sur le premier car il serait hypocrite de réfuter ce fait : la beauté du modèle participe à l’attrait de la photo.
La belle femme qui casse l’image de la belle femme reste quand même enfermée, par moi le photographe, et par le regard des spectateurs, dans son image, son rôle de belle femme. Et cela correspond bien à ce qui me semble être le paradoxe de notre époque : une féminité à deux visages, d’un côté l’effacement des différences hommes / femmes qui peut aller jusqu’à l’extrême de la négation des genres, d’autre part l’ultra-féminisation avec un pouvoir de la beauté et de l’image qui n’a jamais été aussi puissant, aussi présent.
Je vois évidemment cela sous le prisme de la photographie en suivant des comptes liés à cette activité sur les réseaux sociaux. Ma vision est donc biaisée ; mais dans ce biais, la vénération de l’image, au sens paraître, semble de plus en plus exacerbée. A quoi est-ce dû ? Probablement à l’évolution des téléphones portables en appareils photos, aux filtres qui permettent en quelques mouvements de se sublimer, et à directement poster sur les réseaux sociaux. Les portraits parfaits se multiplient à l’infini. Et j’ai de plus en plus de mal à comprendre ce que je vois. Je travaille beaucoup les images de cette série dans l’idée de retrouver du sens.
A l'origine
Voici l’image fondatrice de la série, qui était, au départ, censée être unique.
Je l’ai réalisée en 2016, en Ukraine où je vivais à l’époque. La déclinaison de cette première photographie en série, avec des thèmes et des couleurs vives, s’est développée au cours de mon séjour là-bas : comme indiqué, j’ai très vite eu la vision d’une salle exposant toutes les photos dans une explosion de couleurs pop et joyeuses, regorgeant de détails et surprenant le spectateur. Le projet a tellement changé– beaucoup de séances ont été faites et refaites – que cette première photo n’en fait plus vraiment partie.
La photo réalisée à un instant donné est une vision résultante de notre vécu : elle est intrinsèquement très personnelle. C’est une évidence, mais il faut parfois le formuler pour l’intégrer. Cette série a un sens profond pour moi, et révèle mon univers intérieur : de la fantaisie et de la malice, et probablement une forme de fantasmes érotiques violents.
J’identifie facilement la première image de la série, mais plus difficilement son commencement véritable : l’enchaînement de causes et d’effets qui provoquent le désir ou besoin de la réaliser. Mon inspiration originelle est sans doute la photo d’Adriana Karembeu au milieu des Barbies cassées de Gérard Rancinan.
Cela avait fait la couverture de Chasseurs d’Image en 2005. J’étais à l’époque un jeune photographe de rue, qui faisait des tentatives de photos de nu pudiqueset académiques.
Cette couverture a choqué, le courrier des lecteurs en parlait au numéro suivant. Cela m’avait bouleversé aussi : j’avais adoré ! J’ai été et reste fasciné par cette image, et par le dossier sur Gérard Rancinan dans ce numéro ; cela a fait mûrir en moi les possibilités d’une véritable mise en scène dont l’objet n’est plus simplement la beauté d’une femme, mais qui raconte une histoire et laisse la part belle à l’imagination.
Dans la culture populaire, disons même la pop-culture, la Barbie a évolué en même temps que la société : de l’image du fantasme de la femme, la blonde, longues jambes et mensurations idéales, toujours souriante, à une caricature du regard machiste de l’homme qui la fabrique.
Probablement « traumatisé » par la série de Gérard Rancinan, associée à mes propres fantasmes, j’ai gardé une idée très spéciale de la Barbie : le reflet de femmes que l’on peut manipuler, tordre, casser, de manière cathartique.
J’ai imaginé la première image envoyant le presse-agrumes Alessi Juicy Salif, qui m’a toujours plus évoqué à un sex-toy BDSM qu’à un ustensile de cuisine.